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Copain Noé.

 

La première fois que nous avons été face à face, tu étais en morceaux, la tête à droite, les jambes à gauche. Tu ne ressemblais à rien. Désolée de te le dire. Autour de toi, une bande d’humains s’affairait à te rendre une forme. Quelle forme ? Une forme de géant et puis, sur ce petit coin de pelouse, entre béton et bitume, un peu triste comme sont les espaces verts des villes, un peu désabusé d’être coincé entre deux barres d’immeuble, un peu seul aussi de ne pas accueillir des jeux d’enfants, des mots de vieux qui parlent, qui se racontent, enfin tu es né.

 

Toi, Noé, tu m’as impressionnée.

Qu’est-ce que tu es grand !

Qu’est ce que tu es beau ! Serein ! Gentil ! 

 

Avec ton guide, tu as surgi dans la rue de la Thiérache, la bien nommée car terre de géants dans l’imagination populaire de cette région du Nord. Là-bas, chaque géant a son histoire, les géants naissent, sont baptisés, se marient et ont des enfants comme les hommes. Et toi, Noé, aimerais-tu fonder une famille ?

 

Les habitants se sont immobilisés, les langues se sont tues, les questions ne sont pas sorties des lèvres entrouvertes puis peu à peu, les sourires sont revenus, les yeux se sont mis à  briller.  Les smart phones ont fait éruption.

 

Quelques mètres encore et te voilà Noé, allée de l’Aube, entouré d’enfants rieurs, aux frimousses intriguées mais tellement tentés de te toucher, d’être touchés et de t’apprivoiser. Ils ont tous compris que tu es bon, inoffensif et qu’ils vivent un moment de bonheur inattendu et furtif.

 

Moi, à tes côtés, je me sens petite, si petite. Notre différence de taille se compte en mètres. Tu sais quand je suis dépliée, je fais 1m33. Tu te déplaces lentement sans à-coup. Tu glisses dans l’air au-dessus de nos têtes et tes jambes flottent un peu. Peut-être un peu comme des jambes de myopathe, des jambes en chiffon.

 

Quand tu viens au Prisme, tu ne passes pas sous le tunnel.

Quand je viens au Prisme, je ne monte pas l’escalier.

 

Quand tu parles au gens, tu bouges gracieusement et tu poses ta grosse main doucement avec respect.

Quand je parle aux gens, ma langue se délie, la parole fuse. Mes impressions passent par des mots.

Tu vois Noé, tous les deux on se ressemble mais avec nos différences. Ensemble, nous formons un tout, seul, nous devenons un rien.

 

Je suis ta copine et je suis fière de l’être et tu me protèges. Avant de te connaître, aurais-je rendu visite aux habitants des Petits Prés ? Non, assurément pas, la preuve, je ne l’ai jamais fait ni même pensé, depuis les quarante ans que je vis à Élancourt-Maurepas mais avec toi, tout se transforme, devient plus simple. En ta compagnie, virevoltant autour de toi, nous nous métamorphosons, nous sommes ailleurs. Nous sommes dans un rôle, au-delà de la vraie vie. La rue devient une scène, un théâtre et les paroles deviennent dialogues.

 

Noé, lors de la parade qui a pris naissance au quartier des 7 Mares, tu as rendu réel et faisable, l’impossible, l’improbable, non sans appréhension et questionnement sur le sens et le ressenti des passants.

 

Tu te ris de braver l’interdit, les « ça ne se fait pas ». Noé, quand tu ris, je ris aussi. Quand tu es libre, je me sens capable d’abattre des murs. Bon, c’est vrai je m’enflamme, avec mes trois cent grammes de force par bras, c’est carrément prétentieux. Est-ce ta place parmi nous ?

 

Dans ton ombre, à l’abri de ton sourire et de tes gestes bienveillants, tout semble plus facile alors que pour moi, tout est si souvent difficile, dénué de spontanéité. Pas de place pour l’improvisation.

 

Tu es ma chance et tu ne m’échapperas pas. Tiens ! « Pas » de pas à pas, de pas de danse, de pas de porte, marcher dans les pas de l’autre… Drôle pour quelqu‘un qui ne met pas un pied devant l’autre. Nous allons en faire du chemin ensemble. Où tu iras, j’irai si tu veux bien.

 

 

…/…

LETTRE DEUX

Dis, quand reviendras-tu ?

Dis, au moins le sais-tu ?

 

Oui, je sais, c’est difficile pour toi de vivre dans le noir et dans l’humidité d’un garage. Toi aussi tu aimes le soleil et la lumière surtout celle des premiers rayons du printemps qui réchauffent sans assommer. Toi aussi, tu rêves de sortir, d’être vu, d’être admiré et d’être touché par des mains d’enfants, un peu apeurés, interrogatifs mais vite conquis par tes grands yeux tendres et caressants.

 

Oui, tu sais que quelque part, des amis existent et tu as bien raison.

 

Nous, nous t’attendons, nous préparons le jour de nos retrouvailles. Activement et avec ferveur.

 

« Un homme sans passé est plus pauvre qu’un homme sans avenir. »

Le Serment de Kolvillag - Elie Wiesel.

 

Toi, Noé le troubadour, avec les parades, les festivals, les fêtes que tu as déjà connus, je nous prédis un riche et bel avenir ensemble.

 

Les centaures et les bipèdes (T’as vu c’est beau comme ils nous appellent) travaillent, répètent une belle déambulation pleine d’émotions et de joie, haute en couleurs et en musiques.

En plus, avec toi, nous ne serons pas seuls. Des bandes, des troupes et des scarabandes défileront à la queue leu leu. Mais ne crains rien, nous tes copains, nous garderons un œil sur toi pour savoir si tu vas bien. Nous, nous interprétons : « Je vais bien ! » puis on danse. Je dois t’avouer parfois, c’est difficile de se souvenir des chorégraphies, des changements de rythme et des mouvements à accomplir mais nous nous appliquons pour que tu sois fier des copains qui t’accompagnent pendant le festival InSenSés comme nous le sommes d’être amis d’un géant.  

 

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